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Un rapport d’un centre de recherche, le Synaps, met en exergue le danger sur la santé publique que constitue le dossier des déchets au Liban. Magazine a recueilli en exclusivité une interview de l’auteur de ce document, Ranine Awad.

Quel est le thème de votre recherche et sur quoi vous êtes-vous basée?
Diaries of a garbage bag (Journal d’un sac poubelle), évoque le thème de la crise des déchets au Liban et sa relation avec la pollution de l’eau, qui atteint tous les Libanais, sans aucune distinction religieuse ou territoriale. Le sac poubelle est le narrateur de notre histoire, de notre mode de vie. C’est un travail de 10 mois, basé sur l’étude de plus de 40 documents, d’une trentaine d’entrevues avec des experts dans 15 municipalités du pays.

Selon vos recherches, quelles seraient les causes principales de la crise des déchets et quand a-t-elle véritablement commencé?
La question des déchets n’est pas un phénomène nouveau. Une crise a déjà éclaté en 1997 à la suite de la fermeture de la décharge de Bourj Hammoud et de la démolition de l’incinérateur d’Amroussieh. Mais le problème de la gestion des déchets était déjà présent d’une façon anonyme avant la guerre civile libanaise. La pertinence d’un incinérateur à Amroussieh était déjà remise en question. Techniquement, le problème de l’incinération vient de la composition des déchets, dont la moitié à peu près est organique et contient un grand volume d’eau. Or, l’eau empêche une bonne combustion, ce qui rend le recours à un incinérateur dangereux et inefficace. Sans oublier que nos déchets sont placés dans des conteneurs sous la pluie en hiver. Toutefois, le problème majeur vient de l’absence, depuis des décennies, d’un plan national pour la gestion des déchets sur le long terme. Le gouvernement se contente d’adopter des plans d’urgence, se limitant au cas de Beyrouth et du Mont-Liban, laissant les autres régions sans solution. Le partage du pouvoir au Liban, qui se traduit par une alternance rapide au gouvernement, a des liens directs avec cette politique de court-terme. La durée moyenne du mandat d’un ministre est de 19 mois. Etant donné la complexité du dossier, à peine le temps de comprendre le sujet, il en reste peu pour mettre en œuvre une politique. Le financement est également un facteur majeur dans la crise actuelle. Les municipalités, légalement en charge de la gestion des déchets, n’ont pas reçu les financements distribués par le Fond municipal indépendant de façon régulière depuis 1997. Les municipalités expliquent que ces retards de paiement amputent leur budget de fonctionnement et les obligent à recourir à des solutions illégales pour se débarrasser de leurs ordures ou accepter des décisions qui ne leur conviennent pas. Un quatrième élément est la volonté politique. Dans les municipalités appuyées par des politiciens puissants, on a vu des solutions durables émerger pour répondre à la crise des ordures. Mais ailleurs, les organisations qui proposent des solutions font parfois face à des élus qui ne veulent pas assumer la responsabilité de la gestion de ce problème.

La présence des réfugiés syriens a-t-elle joué un rôle dans cette crise?
Une étude menée par le ministère de l’Environnement, l’Union européenne et le PNUD en 2014 montre que les réfugiés syriens produisent plus de 900 tonnes de déchets par jour, soit à peu près 15% du volume des déchets produits par les Libanais avant la crise des réfugiés. Le coût de la gestion des déchets attribués à la présence des Syriens est estimé dans cette étude à 24 millions de dollars par an. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est l’impact positif de la présence de ces réfugiés sur la crise des déchets au Liban. Les projets les plus importants liés à la gestion des déchets –infrastructures, équipement des municipalités ou sensibilisation du public – qui existent aujourd’hui sont financés par des agences internationales, dans le cadre de leur réponse à la crise des réfugiés. Ils représentent une somme vraisemblablement supérieure au coût mentionné.

Quelles sont les conséquences sur les eaux et les nappes phréatiques?
Les déchets organiques, lorsqu’ils macèrent avec d’autres déchets, comme le plastique, le carton ou les piles, déclenchent des réactions chimiques pour former ce que les experts appellent le «lixiviat» ou eaux noires. Ces matières toxiques, s’infiltrent ensuite dans les nappes phréatiques, les rivières et la mer. Ces eaux sont dangereuses en elles-mêmes, mais elles permettent toutefois la dissolution d’éléments indissolubles tels que le ciment. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir des décharges sanitaires qui assurent une collecte maîtrisée et le traitement des eaux noires. Par exemple, au Costa Brava, ces eaux ne subissent qu’un traitement minimal à la station al-Ghadir avant d’être rejetées dans la mer.

Quel est le danger des déchets organiques sur l’être humain?
Une étude réalisée par l’Institut libanais des recherches agronomiques (LARI), sur les eaux des déchets aux alentours de Beyrouth en 2016 a montré qu’elles contiennent de l’e-coli, des coliformes fécaux, de la salmonelle et du mercure. Les deux premiers viennent des excréments humains et provoquent entre autres des diarrhées, de l’insuffisance rénale ou encore des complications neurologiques. La salmonelle, quant à elle, est responsable de vomissements, nausées ou encore de crampes abdominales. Quant au mercure, il est notamment toxique pour le système nerveux.

Quelles solutions à la crise des déchets?
La première étape indispensable est le tri à la source. La crise des déchets au Liban ne peut être réglée qu’avec la participation de toutes les parties prenantes. Il faut mettre en place un plan national pour la gestion des ordures. On peut avoir recours au compostage pour se débarrasser des matières organiques, mais à condition de mettre en place des normes nationales, qui exigent une «recette» stricte. Enfin, il faut savoir que l’utilisation de l’incinération n’est pas à proscrire, mais elle exige une bonne gestion du processus et un bon choix de matières incinérées.

Est-il encore possible d’agir?
Mieux vaut tard que jamais. Comme vous le savez, la société libanaise est consumériste. Il faut revoir nos habitudes, comme l’utilisation des bouteilles et des sacs en plastique, se mettre au tri, éduquer les jeunes Libanais à la protection de l’environnement, appliquer le principe pollueur-payeur, exiger également des industries moins d’emballages, plus de packagings recyclables. Il faudra des années pour dépolluer l’eau et les sols. Mais plus on attend, moins ce sera facile. Autant commencer aujourd’hui!

Quel est le danger des décharges?
Le principal danger vient de l’absence de décharges sanitaires au niveau national. La décharge de Tripoli souffre depuis 2013 d’un manque de traitement de ses eaux noires qui produisent du méthane, risquant d’exploser et de se déverser dans la mer. Les normes exigent la construction des décharges à une distance de 500 m de la mer ainsi qu’à 200 m des habitations. Or les dépotoirs du Costa Brava, de Bourj Hammoud, Saida et Tripoli se trouvent à 0 m de la mer.

Le taboulé, plat national, est-il devenu dangereux de par sa contamination?
J’évoque dans ma recherche les conséquences sanitaires des déchets sur l’alimentation en général, et en particulier sur deux ingrédients essentiels de notre plat national, le taboulé: la menthe et le persil. Selon une étude du LARI réalisée en 2016, sur des échantillons arrosés par les rivières du Litani et du Ghzayel, le persil et la menthe montrent une forte contamination par le plomb et le chromium (avec des taux 2 à 12 fois plus élevés que ceux fixés par l’UE, en ce qui concerne le plomb par exemple). Le plomb cause de l’hypertension, des insuffisances rénales et affecte le développement du cerveau chez les enfants.


Le Synaps
Après une licence en Journalisme et Communication de l’Université Antonine, Ranine Awad a débuté sa carrière au quotidien an-Nahar. Depuis presque un an, elle se consacre à sa passion à travers le centre Synaps où elle effectue un travail de recherche.
Le Synaps est un centre de recherche fondé à Beyrouth en juin 2016 par Peter Harling, un ancien du International Crisis Group (ICG). Ce centre mène des recherches dans le domaine des sciences sociales en s’appuyant sur des analyses menées par des chercheurs locaux. Ces recherches permettent d’offrir un encadrement individualisé aux chercheurs pour les former au travail de terrain et à l’écriture analytique. 

Joëlle Seif -" Magazine" -
23 novembre 2017  

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